La diversité et le chien de race
(Le Caniche et le gâteau au chocolat)
de John Armstrong - Traduit de l'anglais du site "The Canine Diversity Project"

 

La Nature de la diversité

Imaginez que les gènes soient des recettes. Ils portent les instructions pour les divers ingrédients qui entrent dans la composition d'un organisme. Chaque recette comprend un ingrédient particulier, et des individus différents peuvent porter des versions différentes de la même recette. (Dans le jargon de la génétique, nous disons qu'ils portent des allèles différents d'un gène en particulier.) Des Individus d'une population portent souvent des recettes semblables ou identiques, par exemple, le gâteau au chocolat pour un Caniche, le gâteau au citron pour un Beagle et le gâteau blanc pour un Samoyed. Une espèce canine différente pourrait être représentée par un gâteau aux fruits. Si vous considérez des animaux qui sont tout à fait différents, comme des grenouilles et des poulets, vous trouverez généralement des recettes "homologues", par exemple des tartes ou des puddings. Ainsi, il y a plus de diversité parmi les mammifères que parmi les carnivores, et plus parmi les carnivores que parmi les Canidés et plus parmi les Canidés que parmi le groupe des loups.

Un organisme porte une collection de recettes et la collection définit l'organisme. La grande diversité dans les collections possibles de recettes est la raison de la grande diversité du règne animal et végétal. Plus deux individus sont étroitement liés, plus grande est la similitude de leurs collections. Le nombre de combinaisons est énorme, et au cours de l'évolution, la collection de recettes a été sans aucun doute remaniée à plusieurs reprises. Les combinaisons qui ont bien fonctionné ont survécu et se sont multipliées. Celles qui n'ont pas marché se sont rapidement éteintes. En théorie, on peut faire un repas de champagne et de tacos avec un pudding de Yorkshire, mais ils ne vont pas vraiment bien ensemble. Au fil du temps, l'échange de recettes est devenu difficile entre les animaux qui diffèrent sensiblement dans leurs caractéristiques physiques et comportementales. Donc, des groupes différents ont été contraints de travailler avec seulement un sous-ensemble de la collection totale possible de recettes.

Une définition de l'espèce dit que les membres de deux espèces différentes accouplés l'un à l'autre ne peuvent pas produire d'hybride fertile. Cependant, une autre définition plus moderne, dit que deux espèces sont géographiquement, physiologiquement, ou par leur comportement isolées de telle sorte qu'elles ne produisent normalement pas d'hybrides. En outre, elles doivent avoir des caractéristiques qui diffèrent suffisamment pour permettre de les distinguer les unes des autres. Le chien domestique, le loup, le coyote, le chacal peuvent tous s'accoupler les uns aux autres (sauf contraintes de taille) pour produire des hybrides viables et fertiles. Pourtant, ils ont été considérés comme des espèces différentes (au sein du genre Canis) parce qu'ils vivent normalement dans des endroits différents, se comportent différemment, et peuvent généralement être considérés comme différents. (Même s'il y a eu un déclassement récent en changeant Canis familiaris en une sous-espèce de Canis lupus.) Cependant, un chacal ne s'accouplera pas avec un chien à moins qu'ils aient été élevés ensemble en tant que chiots (probablement du à une différence de comportement appris). En outre, aucune espèce Canis ne peut produire un hybride avec un renard. Ce n'est pas parce que les recettes génétiques sont très différentes, mais parce que les renards ne partagent pas le même nombre de chromosomes. (En d'autres termes, leurs recettes sont classées dans un autre système incompatible - un peu comme si l'un était classé sous DOS et l'autre sous Mac).

Les recettes génétiques peuvent être modifiées quand elles sont transmises. La plupart des modifications n'apporteront pas de différences perceptibles, ou seulement très subtiles. Certaines peuvent améliorer la recette et d'autres non. Si nous faisons un gâteau au chocolat et qu'un ingrédient essentiel est oublié, ou que le gâteau est cuit trop longtemps ou à la mauvaise température, nous nous retrouverons avec une catastrophe. (Si nous ne comprenons pas ce qui a mal tourné, nous rejetterons probablement la recette et en chercherons une nouvelle.) Nous pouvons même faire des modifications délibérées dans une tentative d'obtenir un gâteau plus mémorable. Parmi les "gâteau au chocolat" de la population, il y aura une variété - ou une diversité - de recettes et, par conséquent, de gâteaux.

C'est, je dirais, une "bonne" chose. Voulons nous toujours le même gâteau au chocolat? Nous allons sûrement nous en lasser, et même si ce n'est pas le cas, nous perdrons le plaisir de l'anticipation. Si, pour une raison imprévue, tout le monde perd soudainement le goût pour CE gâteau au chocolat, il va sûrement disparaître. Pour avoir la possibilité d'évolution et d'adaptation, il faut courir le risque du mauvais. C'est le "coût à payer".

Dans une grande population, se reproduisant naturellement, nous allons nous retrouver avec un certain nombre de versions (allèles), certaines si très légèrement différentes que nous ne le remarquerons jamais, certaines sensiblement différentes (mais toujours fonctionnelles), et d'autres qui ne fonctionneront pas du tout. Cependant, si on enlève la diversité, nous perdons la possibilité de l'évolution et de survivre au changement inattendu. Pour avoir la possibilité d'évolution et d'adaptation, il faut courir le risque du mauvais. Les généticiens appellent ce risque le "fardeau génétique". Ce "mauvais" groupe subsiste parce que chaque individu porte deux copies de chaque recette, et souvent le fait de posséder une seule "bonne" copie est suffisant pour un fonctionnement normal. Dans la plupart des populations, chaque individu porte une partie du fardeau génétique - de trois à cinq mauvaises recettes sur plusieurs milliers. Le fardeau est si bien distribué que si deux individus comparent leurs collections de recettes, ils n'auront généralement pas deux copies de la même mauvaise recette en commun...

Perte de la diversité

Supposons que nous ayons une nouvelle population avec seulement six ou huit fondateurs. (Un certain nombre de races ont commencé avec si peu.) Nous allons nous débarrasser de centaines de mauvaises recettes, mais la ou les deux dizaines restantes seront beaucoup plus fréquemment rencontrées. En outre, s'il existe plusieurs bonnes ou excellentes recettes, la chance de décrocher l'une de ces collections grandit lorsque le nombre de fondateurs diminue, et le risque d'en perdre une reste élevé tant que la taille effective de la population reste faible. Le fait de travailler avec un petit nombre d'individus diminuera inévitablement la diversité, simplement parce que les individus ne transmettent pas également leurs recettes à la génération suivante et quelques recettes sont accidentellement perdues. Cela a pour conséquence le résultat superficiellement désirable de donner un phénotype plus reproductible, mais au détriment d'une réduction globale de la qualité, de la santé et de la longévité.

Si les éleveurs avaient la possibilité de reconnaître chaque recette individuelle et de ne choisir que celles qui seraient excellentes, les races pourraient être produites avec un petit nombre d'individus qui ne possèderaient pas de problèmes génétiques. Cependant, ce que nous voyons (le phénotype) est le produit de toutes les recettes et, pour la plupart, nous ne pouvons pas voir les recettes individuelles. En outre, nous n'avons pas la possibilité de sélectionner individuellement les recettes. Quand nous choisissons un animal pour la reproduction, nous sommes forcés d'accepter un jeu complet de recettes. Même dans les rares cas où nous avons maintenant un test ADN pour une mauvaise recette (allèle), nous n'avons pas la capacité de la corriger ou de la supprimer de manière sélective de la collection. Nous sommes donc obligés de travailler avec ça, ou de jeter la collection entière, avec le risque de jeter quelque chose d'excellent associé à elle.

La pratique courante de presque tout le monde de se précipiter pour faire reproduire par le champion mâle très populaire du moment est probablement le facteur réducteur le plus important de ce qui reste de la diversité. Considérez votre propre race (la situation de la plupart des races est similaire). Pouvez-vous trouver un ou plusieurs mâles qui apparaissent dans la plupart des pedigrees? Presque tout le monde décide qu'il aime les recettes de Gefell - ou du moins celles que l'on peut voir aisément - et abandonne les autres recettes avec peu d'attention aux conséquences éventuelles. En quelques générations, presque tout le monde a un nombre considérable des recettes de ce mâle, mais pas nécessairement les plus exceptionnelles, et de nombreuses excellentes recettes de rechange sont très difficiles à trouver.

A quel point est-il précieux, l'individu qui possède certaines des recettes disparues et relativement peu de la collection "populaire" ? Hésitons-nous parce qu'il y a aussi quelques mauvaises recettes dans cette collection de rechange ? Sommes-nous maintenant tellement habitués à travailler avec la collection la plus populaire que nous avons perdu de vue le gâteau au chocolat "mémorable" ?.

Génétique des populations et l'éleveur

Ce qui est souvent appelé la génétique mendélienne traite des résultats de croisements spécifiques. La génétique des populations porte sur la distribution des allèles dans une population et les effets de la mutation, de la sélection, de la consanguinité, etc, sur cette distribution. En tant qu'éleveur, vous êtes un généticien pratiquant. La connaissance de la génétique mendélienne et de la génétique des populations est essentielle, non seulement à votre propre succès, mais aussi à la survie de votre race.

Parce que beaucoup des premiers généticiens croyaient qu'il n'y avait que deux alternatives possibles pour un gène - "bons" allèles qui fonctionnaient normalement et "mauvais" allèles qui ne fonctionnaient pas - ils s'attendaient à trouver peu de variabilité génétique dans une population. La majorité des individus étaient supposés être homozygotes pour le bon allèle sur la plupart des gènes.

Mais avec l'apparition d'outils biochimiques et moléculaires modernes, les généticiens étudiant les populations ont constaté une variabilité (diversité) beaucoup plus grande que ce à quoi ils s'attendaient. Il y a un certain nombre de raisons possibles pour cela, et même les experts ne sont pas en accord total sur la ou les raisons les plus probables. Cependant, les généticiens ont aussi découvert que les populations manquant de diversité génétique ont souvent des problèmes significatifs et sont plus à risques face aux maladies et à d'autres changements dans leur environnement. La conclusion est que la diversité génétique est désirable pour la santé et la survie à long terme d'une population.

Les chiens de race pure ont-ils une diversité génétique? Certains peuvent considérer ces termes comme contradictoires. Le concept même de la création d'une race dont les caractéristiques sont très différentes des autres races implique une certaine limitation de la diversité. Néanmoins, dans les standards pour une race, la diversité doit toujours être possible pour les gènes qui n'affectent pas les caractéristiques essentielles qui distinguent une race d'une autre. Si, dans le but de maintenir l'identité de la race, on a à faire des compromis sur les gènes qui ont trait à une structure générale saine, une bonne santé, l'intelligence, le tempérament, peut-être que cette race ne devrait pas exister. Toutefois, aussi longtemps que ces conditions essentielles ne sont pas compromises, je ne vois pas pourquoi on ne peut avoir différentes races avec des apparences différentes et des compétences différents.

Pour ces gènes qui établissent l'identité de la race, il y aura manifestement moins de variabilité dans une race que dans Canis familiaris dans l'ensemble.
La partie délicate est de restreindre la variabilité de ces gènes qui rendent une race distincte, sans sacrifier la variabilité et la diversité qui est nécessaire pour une bonne santé et la survie à long terme de la race. Dans de nombreux cas, cela n'a pas été atteint, et nous en payons maintenant le prix en termes d'incidence élevé de maladies génétiques spécifiques et une susceptibilité accrue à d'autres maladies, de taille réduite des portées, de durée de vie réduite, d'incapacité à reproduire naturellement, etc.

Pourquoi est-ce arrivé?

1. De nombreuses races ont été établies sur trop peu de fondateurs ou dont certains sont déjà trop étroitement liés.
2. Les registres (livres généalogiques) sont fermées pour la plupart des races, donc vous ne pouvez pas introduire de la diversité de l'extérieur de la population existante.
3. La plupart des pratiques sélectives d'élevage ont pour effet de réduire encore la diversité. En outre, de mauvais choix sont souvent faits.
4. Même si les fondateurs ont été suffisamment diversifiés génétiquement, presque personne ne sait comment leurs contributions génétiques sont distribuées dans la population actuelle. En conséquence, la reproduction se fait sans égard à la conservation de ces contributions, qui peuvent être utiles à la santé générale et à la survie de la race.

Devons-nous l'accepter comme une conséquence inévitable en créant une race ? Je ne pense pas que nous devons.

Un rôle pour les clubs de race

Chaque race a besoin d'une base de données avec tous les animaux en état de reproduire enregistrés avec toutes leurs ancêtres remontant jusqu'aux fondateurs. Ce devrait être la tâche la plus appropriée du club de race. Y en a t-il qui le fassent effectivement (en dehors de quelques-unes des races rares)?

Une telle base de données permettrait aux éleveurs d'identifier les individus les plus susceptibles de porter les gènes de chaque fondateur. Au niveau de l'éleveur individuel, cela lui permettrait de prendre des décisions intelligentes, de faire des choix éclairés lors de la sélection des reproducteurs. Des mesures pourraient également être considérées comme de rééquilibrer la race, afin d'assurer que la diversité restante soit plus équitablement répartie et que, par conséquent, il y ai moins de risque de perte.

© John B. Armstrong, 1998, 2001




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Dernière modification 10 Avril, 2011 22:41